Aston Martin DB3S
la grande satisfaction de David Brown et de John Wyer
Comme tout constructeur de voitures de sport digne de ce nom, Aston Martin devait être présent en compétition et c’est la voie des courses d’endurance et plus particulièrement les 24 Heures du Mans qui fut essentiellement retenue. Parmi les Aston Martin de course, c’est la DB3S qui connut la plus longue carrière, de 1953 à 1958, terminant à trois reprises à la... deuxième place au Mans, en 1955, 1956 et 1958.
La première apparition d’une Aston Martin aux 24 Heures du Mans remonte à l’année 1928 et la marque fut ensuite présente à toutes les éditions jusqu’à la fermeture définitive du département compétition au début de l’année 1964. Marquée par de nombreux abandons et déboires, l’histoire d’Aston Martin, qui a célébré son centième anniversaire l’an dernier, retient essentiellement l’année 1959. Après une formidable bagarre en tête avec les Ferrari 250 TR pendant les deux premiers tiers de la course, les Aston Martin DBR1/300 prennent en effet les deux premières places, Carroll Shelby et Roy Salvadori précédant Maurice Trintignant et Paul Frère d’un tour. Cerise sur le gâteau, ce doublé permet à la marque britannique de remporter le Championnat du monde des voitures de sport grâce aux résultats glanés tout au long de la saison (Nürburgring et Goodwood).
David Brown est également fort déconfit par cet échec et charge John Wyer de développer une vraie voiture de course sous le nom de DB3S.
Ce succès est surtout l’aboutissement du développement mené avec les modèles précédents et plus précisément avec la DB3S ainsi que le fruit de l’opiniâtreté de deux hommes, David Brown et John Wyer. Le premier racheta Aston Martin en 1947. Brillant industriel ayant fait fortune dans la construction d’engrenages, de transmissions et de tracteurs agricoles, ce passionné de belles automobiles est souvent considéré comme étant le «père» d’Aston Martin qu’il va diriger et posséder pendant 25 ans, jusqu’en 1972, un record qui tient toujours. Entrepreneur audacieux, il connaît ses limites, mais parviendra très vite à convaincre de nombreux talents à le rejoindre pour l’entourer dans cette lourde tâche. Dès la fin de l’année 1949, il engagea, par exemple, l’ingénieur John Wyer en qualité de directeur du service course. Il le restera jusqu’à la fin de l’année 1963, débauché par Ford pour participer au développement de son projet GT40.
Six années de galère
Après dix années d’interruption dues à la Seconde Guerre Mondiale, les 24 Heures du Mans sont organisées sur le circuit de la Sarthe à la fin du mois de juin 1949. Sorties un an plus tôt, plusieurs DB1 sont engagées par des écuries privées à cette dix-septième édition et deux d’entre elles se classent aux septième et onzième place, très loin derrière la Ferrari 166 MM des vainqueurs. Par contre, le nouveau prototype de la DB2 engagée par l’usine ne couvre que 6 tours... Dérivé de celui de la DB1, le châssis de la DB2 était légèrement raccourci et était, surtout, habillé d’une carrosserie en aluminium à la ligne plus fluide et plus agressive, dessinée par l’ancien styliste de Lagonda, Franck Feeley. Toutes ces voitures étaient équipées d’un moteur à 6 cylindres en ligne à double arbre à cames élaboré pour Lagonda (marque rachetée par David Brown en 1948) par Walter Owen Bentley, le père des Bentley victorieuses à cinq reprises aux 24 Heures du Mans (1924, 1927, 1928, 1929 et 1930). À la base, ce bloc à 6 cylindres affichait une puissance modeste de 105 ch., mais il offrait de grandes possibilités de développement tant en puissance qu’en cylindrée. Il sera utilisé en course jusqu’en 1958.
Aux 24 Heures du Mans 1950, trois DB2 sont engagées par l’usine. L’une abandonne au bout de 8 tours, mais les deux autres terminent aux cinquième et sixième places malgré une puissance bien inférieure à celle de la plupart des concurrentes. L’année suivante, c’est mieux encore: les trois voitures d’usine terminent aux troisième, cinquième et septième places, alors que deux voitures privées terminent dixième et treizième. David Brown décide alors de lancer la production d’une Aston Martin véritablement dédiée à la compétition, la DB3, et engage un ancien collaborateur de la famille Porsche (de 1933 à 1949), le professeur autrichien Robert Eberan von Eberhorst. Il est l’auteur, entre autres, des Auto Union Type C et Type D de Grand Prix dans les années trente. Ce ne fut pas la meilleure idée de David Brown: de 1952 à 1954, la DB3, construite à dix exemplaires, ne s’imposa que dans des courses mineures malgré quelques évolutions du moteur et abandonna au Mans, en 1952, l’honneur d’Aston Martin étant sauvé par la septième place d’une DB2 privée. Suite à cet échec, von Eberhorst retourne en Allemagne en 1953 pour rejoindre Auto Union et DKW.
Naissance de la DB3S
David Brown est également fort déconfit par cet échec et charge John Wyer de développer une vraie voiture de course sous le nom de DB3S. Le temps presse, il faut qu’il y ait au moins une voiture qui soit prête pour les 24 Heures du Mans qui se déroulent à la mi-juin 1953, d’autant plus que Jaguar, Ferrari et Mercedes préparent, eux aussi, de nouveaux bolides. Partant de la base de la DB3, Frank Feeley dessine l’une des plus belles voitures de course de cette époque, reconnaissable à sa calandre très particulière, surtout en 1953, avec ses alvéoles quadrillés. De leur côté, les ingénieurs allègent sensiblement la voiture, retravaillent sensiblement le moteur à 6 cylindres de 2,9 litres pour en augmenter la puissance, remplacent la boîte de vitesses à 5 rapports de von Eberhorst, peu fiable, par une boîte plus classique à 4 rapports et replacent les freins arrière dans les moyeux des roues au lieu qu’ils soient accolés au différentiel, ce qui nuisait à leur refroidissement.
Trois DB3S sont engagées, mais elles ont été terminées à la hâte et n’ont parcouru pratiquement aucun kilomètre avant de participer aux essais. C’est la déroute. Les trois voitures abandonnent avant la mi-course, alors que Jaguar triomphe en plaçant trois C-Type aux première, deuxième et quatrième places. Une semaine plus tard, Reg Parnell sauve l’honneur dans le British Empire Trophy, mais c’est une course hors championnat. D’autres victoires du même type compléteront le palmarès de cette première saison. L’année 1954 démarre sous de bons auspices, Peter Collins et Pat Griffiths terminant à la troisième des 1000 Km de Buenos Aires, derrière deux Ferrari, mais devant Jaguar et Maserati. Ce sera le seul résultat honorable en championnat du monde des voitures de sport et les 24 Heures du Mans se révèlent être une énorme punition, les 4 voitures engagées par l’usine (dont 3 carrossées en coupé) étant contraintes à l’abandon pour divers problèmes techniques.
Paul Frère sur DB3S en 1955
David Brown et John Wyer ne se laissent pas abattre pour autant et poursuivent le développement de la voiture, intégrant, notamment, dans le courant de l’année 1955, des freins à disques réclamés par les pilotes. Parmi eux se trouve notre compatriote Paul Frère qui avait déjà fait une pige pour Aston Martin aux 24 Heures du Mans 1954, mais la voiture avait abandonné après 74 tours à peine. Aston Martin lui propose un programme complet pour l’année 1955, soit les 6 épreuves en lice pour le championnat du monde des voitures de sport, plus le Grand Prix de Spa Sports. Malgré plusieurs Ferrari, entre autres, Paul Frère remporta assez facilement la course longue de 22 tours (soit près de 310 kilomètres), mais cette victoire eut un autre retentissement totalement inattendu. Le roi Baudouin avait en effet exprimé le désir d’examiner la voiture au château de Laeken. Après de longues explications techniques, Paul Frère proposa au roi de monter à bord et fit une vingtaine de kilomètres sur la route entre Laeken et Anvers entre 140 et 200 km/h avec son illustre passager au visage fouetté par le vent. Et c’est le roi qui effectua le trajet du retour au volant de la DB3S...
Après avoir participé et terminé à la quatrième place, quelques jours plus tôt, au Grand Prix de Belgique sur une Ferrari 555 Supersqualo, Paul Frère retrouve toute l’équipe Aston Martin au Mans pour disputer la vingt-troisième édition des 24 Heures. Personne ne s’intéresse aux DB3S de David Brown, les principales voitures favorites aux yeux des spécialistes étant les Mercedes-Benz 300 SLR, les Jaguar D-Type et les Ferrari Tipo 121 LM. Ce qui aurait pu être une grande fête tourne à la tragédie moins de deux heures et demie après le départ. Un accident impliquant, entre autres, la 300 SLR de Pierre Levegh dans la courte ligne droite entre les stands et la tribune principale provoque la mort de 84 personnes et fera 120 blessés, mais la course continue... Du côté de chez Aston Martin, trois voitures sur les quatre engagées ont été contraintes à l’abandon avant minuit et David Brown est de très mauvaise humeur. L’arrivée de la pluie au petit matin permit à Peter Collins et à Paul Frère de compenser le manque de puissance de leur moteur face à la concurrence et de profiter de très nombreux abandons ainsi que du retrait des Mercedes-Benz pour se hisser à la deuxième place du classement général dans une ambiance sinistre.
Une belle fin de carrière
Quelques semaines plus tard, une DB3S terminait à la quatrième place du RAC Tourist Trophy en championnat du monde, mais d’autres récoltèrent plusieurs victoires dans des courses secondaires aussi bien en Grande-Bretagne qu’en Europe, aux Etats-Unis, en Australie et même à Singapour au cours des années suivantes. La voiture continuait à évoluer tant sur le plan aérodynamique que du côté mécanique. En 1956, Peter Collins associé, cette fois, à Stirling Moss, termine une nouvelle fois à la deuxième place des 24 Heures du Mans, à un tour de la Jaguar victorieuse, mais en ayant mené la course pendant 7 heures. En 1957, une seule DB3S termine la course à la onzième place, mais on retrouve la même voiture à la deuxième place en 1958, engagée par une écurie privée alors que les nouvelles DBR1/300 d’usine ont toutes abandonné. Cette dernière avait pourtant remporté les 1000 Km du Nürburgring (Moss/Brabham) et le RAC Tourist Trophy (Moss/Brooks), mais ces courses étaient plus courtes. La suite, on la connaît. À reprendre au début de l’article...
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