09/03/2017 - Portraits
LA NOUNOU DE JAPPELOUP
RENCONTRE - BERNADETTE ROBIN
Lorsqu’un cavalier et sa monture brillent en course, on ne parle que de la réussite de leur couple. Pourtant, ce succès, on le doit aussi aux acteurs en coulisse. Bernadette Robin était la groom de Jappeloup lorsque ce petit cheval a décroché la médaille d'or avec Pierre Durand, aux Jeux Olympique de Séoul en 1988. Elle nous parle de son cheval fétiche.
D’abord, que pensez-vous de l'adaptation cinématographique de l'histoire de Jappeloup ?
Le film relate surtout l'histoire d'un cavalier qui réalise son rêve ; malheureusement Jappeloup ne fait que sauter et c'est bien dommage de le cantonner à ce rôle. Ce cheval, c’est bien plus que cela. Il a conquis des cœurs par sa prestance et son caractère, disons… bien trempé. Pierre lui a inculqué le sérieux d'un professionnel tout en faisant en sorte que l’animal conserve sa malice de poulain. Une malice que j’ai contribué à entretenir. Car un cheval naît pour être libre et vivant ; sans lui, son cavalier ne serait rien. L’un ne va pas sans l’autre.
Racontez-nous votre relation avec ce petit cheval noir...
J'ai commencé à travailler pour Monsieur Durand après les Jeux Olympiques de Los Angeles. Et Jappeloup est très vite devenu un ami pour moi. On partage des choses profondes avec les chevaux. C’est indescriptible. Il avait deux personnalités : l’une dans l’écurie et l’autre en présence de Pierre. Je me souviens que quand Pierre arrivait, Jappeloup lui marchait sur les pieds. C’était un cheval qui pouvait être très sérieux, mais qui avait aussi la malice d'un poulain. Il était joueur, cabotin. Il boudait face aux caméras. Un peu comme moi et comme les gens qui l’entouraient. Je pense que les chevaux sont un peu le reflet des gens qui leur sont proches. Je me souviens aussi qu’il adorait prendre la poudre d'escampette dès que l'occasion se présentait. C'était sa blague préféré, tout comme le fait d’ôter ses bandes et couvertures. Il m'en a fait passer des nuits blanches, le coquin !
Il avait aussi une âme de gagneur…
Oui, c’était un gagneur. Il aimait sauter et quand il touchait une barre, il n'avait pas du tout la même réaction qu'à l’entraînement. Quand il était content de lui, il partait en ruade. Je le montais tous les jours avec un mors à olive. Je faisais souvent des trottings. Je devais soi-disant le monter en rênes allemandes, mais je ne l'ai quasiment jamais fait, ça m’embêtait. Il trottait tout droit, droit devant. La photo où l’on me voit le monter en trotting a été prise le matin du Grand Prix de Bordeaux. Pierre n'aimait pas le monter le matin. Il le montait juste pour la course.
Vous a-t-on marqué de la reconnaissance pour le travail que vous avez fourni ?
Oui, je pense. J’ai eu de la reconnaissance de la part du cheval, mais aussi de la part de Pierre. Quand il avait des interviews avec des journalistes il disait : « aller voir Bernadette, elle connaît mieux le cheval que moi ». Nous faisions chacun des choses très différentes avec le cheval. Nous avions chacun notre Jappeloup…
Parlez-nous de ce fameux incendie…
C’était durant la journée, je conduisais le camion. On s’est perdu sur l'autoroute et on s'est arrêté dans une station-service. Derrière nous, il y avait le camion d’Hervé Godignon. Je suis descendue du camion, puis Nadine qui était avec moi a crié « Le feu !, le feu ! ». Le feu s’était déclaré au-dessus du camion. On a immédiatement sorti les chevaux. L’un d’eux s’est échappé sur l'autoroute, c’était la jument de Frédéric Cottier, Marbella. Un camionneur s'est arrêté et l'a attrapée. Deux juments de Frédéric Cottier ont été brûlées. L'une d'elle est décédée des suites de ses blessures.
Comment a réagi Jappeloup ?
Il est resté très calme. Dans les situations de panique, il se rendait bien compte qu'il ne fallait pas bouger. Il est descendu du camion calmement alors que tout commençait à fondre au-dessus de sa tête. D’une certaine manière, on a eu de la chance car il y avait des écuries juste derrière la station-service. Les propriétaires, très sympathiques, ont mis leurs chevaux au pré et ont accueilli les nôtres.
Faites-nous entrer dans les coulisses des jeux de Séoul.
Je me souviens qu’on avait dû ferrer Jappeloup avant de partir aux Jeux car il était difficile à ferrer. Il faisait toujours tout un cinéma, l’opération avait pris deux heures. Les autres chevaux de l'équipe de France ont été referrés à Séoul par le maréchal de l'équipe. Mais entre le maréchal et Jappeloup, ça ne passait pas. Chaque fois qu'il tentait de le ferrer, il y avait toujours un clou de travers. Bref, lors des épreuves de la finale, Jappeloup avait des fers complètement usés. Comme on faisait beaucoup de macadam, les fers s'usaient vite. Je me demande toujours comment ils ont tenu le coup !
Vous croyiez en la victoire de Jappeloup ?
Oui, j’étais confiante. Je me suis toujours dit qu’il devait gagner. C'était lui le meilleur. Jappeloup a tout livré, jusqu'au bout de ses forces. La preuve : sur la petite photo où l'on nous voit attendre le contrôle vétérinaire en licol, Jappeloup a la lèvre pendante. Je ne l'ai jamais vu aussi épuisé. Lors du trajet de retour du stade, j'ai voyagé à ses côtés dans le camion qui ramenait tous les chevaux et grooms aux écuries. J’avais fait pareil à l’aller, mais pour le retour, je me suis assise devant ses antérieurs. Il a posé la tête sur mes genoux, entre mes mains et il a fermé les yeux.
Pendant combien de temps vous êtes-vous occupée de Jappeloup ?
Je me suis occupée de lui pendant quatre ans. Et après Séoul, je suis partie. J'étais fatiguée, je suis partie sur un coup de tête. Je l'ai toujours regretté. J'ai revu Jappeloup un peu après, à Paris, au salon du cheval. Je sais qu'il m'a reconnue. Au départ, je ne me rendais pas vraiment compte, mais après coup j’ai compris que je m’étais occupée d'un cheval vraiment exceptionnel. Je pense encore à lui aujourd’hui…
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