NOUS ÉTIONS TROIS
DE NEW DELHI À BRUXELLES
Nous étions trois à vouloir réaliser un rêve, relier New-Delhi à Bruxelles au volant de vieilles motos, des Royal Enfield des années 1970, alors que nous n’avions aucune expérience de conduite de deux roues ni en mécanique. C’est mus par l’envie de découvrir les légendaires régions reculées de la route de la soie que nous avons montées cette expédition.
Nous trois c’est Donald, passionné de navigation et de cinéma qui a voulu mettre à profit son expérience de marin pour découvrir les beautés qui recèlent la terre ferme.
C’est Thibault, polyglotte et cinéaste qui met à profit les cinq langues qu’il parle afin de nous faire comprendre de la population locale. Le voyage a également pour objectif de réaliser un documentaire en collaboration avec Donald.
Enfin, il y a Léopold, à l’origine du projet. Politologue et économiste ce voyage signera l’aboutissement de ses études et le premier grand voyage au long cours après de nombreux voyages plus cours et une année d’étude à Pékin.
En juillet 2016, après plus d’un an de préparation depuis la Belgique et la Chine et quelques semaines de mise en place à New-Delhi, nous quittons enfin l’Inde pour entrer au Pakistan et réellement entamer l’aventure en dehors des sentiers battus.
L’aventure ne fut pas longue à se faire attendre, arrivés en pleins Aïd, à la rupture du jeun, les routes étaient bondées et le retard accumulé lors des préparatifs en Inde nous pousse à rouler jusqu’à 17 heures par jour, les premiers ennuis mécaniques se font ressentir et nous voilà directement plongés dans le bain.
Au début du voyage nous ne savions pas trop à quoi nous attendre, avec tout l’équipement entassé sur nos motos.
Lors de notre première nuit sur la Karakoram Highway, la longue route qui relie Karachi à Kachgar à travers les cols de l’Himalaya, la moto de Donald tombe en panne à 3 heures du matin. Impossible de la redémarrer et nous décidons de dormir dans une tente en toile qui se trouve le long de la route. Elle est déserte mais il y a des lits qui sont faits et du matériel. Nous y passerons la nuit et à l’aube nous nous retrouvons nez à nez avec le propriétaire venu visiter sa tente, ébahi, qui nous invite directement à prendre le thé dans la seconde tente qu’il possède, une centaine de mètres en aval. Il s’agit de réfugiés afghans qui élèvent des abeilles le long des routes. Cette rencontre est à l’image de tant d’autres que nous aurons lors du voyage. Ce fut la réelle découverte de notre voyage. Nous avons en effet été véritablement frappés par la bonté des personnes que nous avons rencontrées et ce, que ce soit pour l'aide reçue lors de nos pannes répétitives, l'attention qu'ils nous apportaient lors de nos arrêts vidéo ou culturels ou pour leur hospitalité.
Lorsque nous nous mettions en route le matin, nous ne savions en effet pas où nous allions dormir. La nuit tombant, nous toquions aux portes des habitations et demandions dans un mélange de russe et de langue des signes si nous pouvions passer la nuit chez eux. Très souvent, la réponse était positive et enthousiaste. Nous étions alors invités à partager le repas et à discuter jusque tard dans la nuit. Le matin, nous recevions un riche et solide petit déjeuner bien gras que nous prenions après les locaux, qui eux étaient déjà partis prendre soin de leurs animaux ou travailler dans les champs. Si nous ne trouvions aucune habitation aux alentours, nous montions nos tentes et préparions un feu de camp pour cuire notre repas et discuter sous le ciel étoilé jusqu’à ce que le sommeil nous emporte.
Notre trajet nous a conduit au travers de l’Asie Centrale et plus précisément au travers des « -stans ». Ces anciennes républiques soviétiques offrent des paysages fabuleux, se découvrant virage après virage sur des routes très variées. Certaines sont ensablées, d'autres faites de rocailles ou de gravats, de béton ou macadam, ou encore inondées. Certaines portions se situent à plus de 5.000 mètres d’altitude tandis que d'autres sont situées sous le niveau de la mer. Les paysages sont incroyablement diversifiés. Nous sommes par exemple passés de hauts plateaux désertiques où les arbres ne poussent pas et où seuls quelques troupeaux de yaks ou ibex sauvages broutent la rare végétation, à de vastes vallées fertiles irriguées par de larges cours d’eau. Nous avons également rencontré toutes sortes de conditions climatiques, allant de déserts arides à des tempêtes de neige en Turquie ou en Chine. Les montagnes ne sont en effet jamais loin, offrant en spectacle leurs cimes enneigées, rocailleuses et acérées.
C’est sur les grandes plaines du Kirghizistan que nous avons rencontré un peuple semi-nomadique, éleveurs de chevaux qui les accompagnent dans les hauts plateaux durant l’été et se réfugient dans les villes lorsque l’hiver arrive. Ils vivent dans des yourtes faites de poteaux en bois, lourds tissus et peaux. Même en été les températures sont fraiches et la nuit ce sont de petits réchauds qui fonctionnent à la bouse de cheval ou de yak séchée qui chauffent la pièce car les arbres ne poussent pas à de telles altitudes.
Nous avons été accueillis par de nombreuses familles de nomades sur notre parcours, nous invitant chaque fois à partager un repas avec eux, fait de pain frais, de beure très riche, confiture et riz. Parfois, un peu de viande ou des légumes viennent égayer l’assiette. Sinon, les épices se chargent de relever le tout. Bien évidemment nous sommes à chaque fois accueillis avec la boisson traditionnelle, du Koumis. Il s’agit de lait de jument fermenté dans des jarres en cuir de cheval. Dès que cela commence à pétiller, le breuvage a suffisamment macéré. Le goût est surprenant, à la fois amère et rance. Les premiers verres demandent un effort important à terminer, il ne faut pas vexer nos hôtes.
La seule constante dans notre voyage était l’incertitude, que ce soit pour la mécanique de nos motos ou pour les visas avec lesquels il fallait jongler. Cela nous obligeait à prévoir constamment plusieurs scénarios à l’avance. Nos ressources étaient limitées et il fallait les optimiser. Les bazars d’Asie Centrale regorgent d’objets en tous genres qui parfois ont pu nous dépanner, mais souvent il fallait faire preuve d’ingéniosité pour arriver à une frontière à temps, réparer une moto, obtenir un visa dans les temps et au bon endroit… A chaque fois que nous trouvions une solution et que nous pouvions repartir de plus belle, c’était une grande joie et un sentiment d’accomplissement personnel qui nous redonnaient le courage de continuer dans la joie et la bonne humeur.
Si les paysages défilent et se ressemblent parfois, ce n’est pas le cas des populations locales. Nous avons rencontré de nombreuses familles, nous sommes liés d’amitié et avons appris à connaitre certaines coutumes et leur folklore régional. Ces régions sont certes de tradition musulmane mais de nombreux courants s’y trouvent : des chiites, sunnites, sufis, ismaéliens, ... C’est avec un plaisir incommensurable que nous avons écouté leurs histoires, traditions et légendes. A trois reprises, nous avons dû rester au même endroit durant deux semaines, et ce pour des questions de visas ou de casses mécaniques nécessitant l’acheminement de pièces de rechanges. Les meilleurs souvenirs que nous retirons du voyage sont ces rencontres authentiques que nous avons eues lors de nos haltes « forcées », nous donnant le temps de véritablement créer des liens avec nos hôtes. Nous avons été invités à partager leur intimité, que ce soit pour une cérémonie soufi à Lahore, des mariages à Douchanbe et Boukhara, des dîners familiaux, des courses de motos sur des parkings déserts à Tabriz ou une rencontre avec le Pape François à Baku.
Au début du voyage nous ne savions pas trop à quoi nous attendre, avec tout l’équipement entassé sur nos motos. Rapidement nous avons appris à faire confiance aux locaux. Lorsque nous allions manger lors de nos pauses de midi dans les villages, nous laissions les motos avec tout l’équipement le long de la route et lorsque nous revenions, rien n’avait bougé, quelques selfies avaient été prises, c’est tout. Le moment qui symbolise le plus cette confiance était sans doute notre arrivée en Iran. Après deux semaines de réparation à Baku nous pouvions enfin reprendre la route, le jour même où nous devions arriver en Iran selon la date sur nos visas. C’est une grosse journée de route et nous arrivons à Astara au moment de la fermeture de la frontière. Heureusement nous rentrons de justesse en Iran. Mais la moto de Thibault, fraichement réparée, n’a pas survécu au voyage et ne démarre plus. Le lendemain, Léopold cherche un mécanicien pendant que Donald et Thibault tentent d’ouvrir le moteur pour un premier diagnostic. Un jeune iranien aborde Léopold en rue pour lui proposer son aide, en anglais. Il s’arrange pour qu’un mécanicien vienne voir la moto et celui-ci déclara qu’il faut apporter la moto à Tabriz, la plus grosse ville de la région, pour la réparer là-bas. Le jeune iranien est plein de ressources et appelle un cousin qui possède un pick-up pour transporter la moto jusqu’à Tabriz, ainsi qu’un autre cousin qui y habite afin de nous y accueillir.
En début d’après-midi nous prenons la route, Thibault dans le pick-up et Donald et Léopold derrière, en moto. Nous arrivons à Tabriz vers 23h après une longue route. Nous tombons en pleine période de l’Achoura, cérémonie chiite hautement symbolique en Iran, et les rues sont envahies d’une ferveur populaire hors norme. De larges groupes d’hommes en noir sont dans les rues, se frappant la poitrine ou brandissant des bâtons au rythme de frappes sur de larges tambours. La situation semble surréelle tant les rues sont animées. Retrouver le second cousin au milieu de toute cette agitation n’est pas aisé et pour finir, après de nombreux coups de fil de notre chauffeur, nous arrivons à le rejoindre. Celui-ci nous guide à travers des dédales de rue jusqu’à un garage où nous entreposons toutes nos affaires, avant de le refermer et de nous guider chez le garagiste, qu’il a prévenu et qui nous attend. Nous tentons de voir si l’un de nous peut dormir avec les affaires mais il décrète que c’est impossible et nous le suivrons à nouveau dans un dédale de rues. Arrivés chez le garagiste, celui-ci « goûte » à l’aide de son doigts la suie du pot d’échappement et nous garantit qu’il peut réparer la moto facilement. Il la range dans son atelier, ferme la porte et nous indique un petit hôtel pas loin. Une fois arrivés à l’hôtel avec les deux motos qui restent et sans nos affaires, notre hôte nous dit qu’il est plus prudent de ranger les motos dans un petit garage un peu plus loin. Nous le suivons à nouveau avec les motos, les entreposons entre des caisses dans un petit garage avant de se retrouver à nouveau dans la chambre d’hôtel, avec nos affaires éparpillées à travers toute la ville chez des gens que nous ne connaissons pas. Nous n’aurions jamais été dans cet état d’esprit avant le voyage. Graduellement nous avons appris à faire confiance à nos amis d’Asie Centrale.
Avant de partir nous avions de l’appréhension par rapport à ce qui allait nous arriver, nous partions vers l’inconnu avec des motos que nous ne connaissions pas, sans grande expérience, mais nous y partions avec détermination. Ce que nous avons appris c’est que le premier pas est le plus difficile, une fois en route et malgré tous les imprévus qui nous sont arrivés nous avons toujours été optimistes. Jamais nous n’avons pensé baisser les bras car à chaque fois des solutions ont pu être trouvées, des gens sont venus nous aider quand nous en avions besoin et nous avons véritablement été touchés par l’ouverture et la gentillesse tant des locaux que des voyageurs. Une fois en route, on ne se pose plus la question de savoir si on va y arriver, car c’est la seule option que nous avons. C’est dans ces moments-là que nous avons pu nous dépasser pour surmonter les obstacles qui se présentent.
Pour conclure, notre voyage à travers des endroits inconnus avec des motos au caractère bien trempé et à la fiabilité fort aléatoire, a été une véritable aventure qui nous a poussés au-delà de notre zone de confort. Ce voyage extraordinaire nous a appris à mieux nous connaitre l’un l’autre, mais surtout nous-même, lorsqu’il a fallu faire face à l’adversité. Nous avons à présent le sentiment de faire partie de ce cercle très ouvert de voyageurs qui, refusant les préjugés, sortent de leurs habitudes pour embrasser le monde dans son immensité. Nous sommes rentrés en Belgique avec des étoiles plein les yeux et l'envie d'entamer de nouveaux voyages vers des destinations différentes, sans jamais oublier cet esprit d'aventure. Nous gardons de merveilleux souvenirs du voyage, de l’immensité des paysages que nous avons traversés, de la beauté à couper le souffle des montagnes, du sourire béat que nous affichions lorsqu’en arrivant au sommet d’une passe d’altitude une nouvelle chaine de montagne se déployait majestueusement devant nous.
Nous avons vécu des milliers d’anecdotes, des centaines d’histoires et de nombreuses aventures. Si nous en gardons certaines pour nous, nous voulons partager le plus possible notre expérience afin que d’autres se lancent dans des aventures qui peuvent paraitre improbables au début, mais qui a force d’y croire se réaliseront.
Pour plus d’informations, d’anecdotes ou nous contacter, n’hésitez pas à visiter notre site internet www.theroyalsilkroad.com ou notre page Facebook/YouTube/Instagram ou à nous envoyer un mail !
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