Vous avez un parcours de photographe impressionnant : votre première exposition a eu lieu quand vous aviez 21 ans, vous êtes la première femme à avoir été nommée Ambassadeur International CANON, vous avez fait le portrait de nombreuses célébrités. Comment est née cette vocation ? Et que cherchez-vous à travers elle ?
Merci !
Lorsque que j’ai vu pour la première fois la photographie de Richard Avedon, Dovima et les Éléphants, ce qui était encore en devenir, m’apparut comme une évidence... La magie opérée par ce cliché pris sous la verrière du Cirque d’Hiver, l’élégance de la femme Dior, la grâce du mouvement, la délicate proximité avec cette extraordinaire puissance, capturées par le maître Avedon; cette vision fut pour moi une révélation : je serai photographe.
Je me suis très tôt battue pour obtenir de grandes campagnes et j’ai su jouer de mon carnet d’adresses pour obtenir des moments à part, absolument confidentiels, comme ce fut le cas avec Gianni Agnelli, Luciano Pavarotti, Mick Jagger, Sa Majesté Juan Carlos Roi d’Espagne.
Mon métier de portraitiste et mon affinité avec le noir et blanc, le nu, la mise en scène du corps féminin m’ont donné envie d’affiner mon regard d’artiste et de proposer, à ce stade de ma carrière, un portrait à la fois plus universel et tout à fait subjectif... Celui de la femme, que je me plais à décliner à travers différents points de vue.
...La compétition est une décharge émotionnelle, l’aboutissement d’un long entraînement et la synthèse de toute la complicité que j’ai développée avec mes chevaux.
Vous êtes aussi passionnée de chevaux et excellente cavalière. Entretenez-vous un lien particulier, personnel, familial avec le monde équestre ? Pourquoi pratiquez-vous la compétition avec votre cheval ?
Tous ces liens à la fois ! Le cheval a toujours été dans mon environnement familial, mes ancêtres m’ont sans aucun doute transmis la fibre. Je suis propriétaire de plusieurs chevaux, et plus récemment d’un poney pour mon fils, avec qui je suis heureuse de partager cette passion maintenant.
La compétition est une décharge émotionnelle, l’aboutissement d’un long entraînement et la synthèse de toute la complicité que j’ai développée avec mes chevaux. J’ai mis la compétition entre parenthèses depuis quelques années mais l’adrénaline me manque de plus en plus... D’autant que je fréquente toujours les terrains de concours, dès que possible. Avoir un lien d’amitié avec l’une des meilleures cavalières au monde, comme Edwina Alexander-Tops, et recevoir les encouragements de mon fils, sans doute mon premier fan, me stimulent énormément !
La détresse animale ne vous laisse pas indifférente, vous avez même recueilli plusieurs chevaux : pouvez-vous nous raconter leur histoire ?
La détresse en général d’ailleurs !
Mon empathie, mon altruisme se sont aussi adressés aux enfants... Tout aussi vulnérables que les animaux, dans un monde meurtri par les disparités. C’est important pour moi de pouvoir mettre mon travail à leur profit. Je fais par-là référence à mon action caritative auprès du Mercy Centre de Bangkok. Avec la complicité du Père Joe, sur qui repose le quotidien de la Human Development Foundation, et du joaillier Chopard, la mise aux enchères des photographies de mon livre « Slaughterhouse Angels », réalisée à 100% au bénéfice du Mercy Center, a permis une levée de fonds de 400.000 USD au profit des enfants, malades et orphelins.
Pour ce qui est des chevaux, ma vie est jalonnée de rencontres particulières. Je pense notamment à ce voyage en Italie au cours duquel je visitais le site historique de Pompéi. Comme souvent, on vous propose de vous promener en carriole dans un attelage de fortune destiné aux touristes... Sauf que ce jour-là, l’attelage était tiré par un cheval dans un état famélique rare. Je n’ai pas hésité à interpeler son propriétaire, qui malgré sa bonne volonté n’avait pas les moyens de le soigner... Ce cheval était son unique moyen de gagner sa vie. Je lui ai proposé immédiatement de le racheter, et je l’ai fait transférer en région parisienne pour qu’il reçoive les soins nécessaires. « Napoli », comme je l’ai surnommé, a survécu ; j’ai même pu lui trouver un lieu d’accueil pour qu’il passe de beaux jours.
Plus récemment, j’ai été contactée par le refuge Santa Maria situé à Malaga en Espagne, qui me connaissait grâce à mon livre « Horses of Qatar, la légende d’Al Shaqab ». La crise espagnole a fait nombre de victimes chez les équidés. Les populations frappées par le déclin économique brutal ont dû abandonner de nombreux chevaux dans les rues... En association avec Nieves Alvares (modèle et animatrice de la TV espagnole) et le magazine populaire espagnol « Hola », j’ai proposé une campagne appelée Santa Maria Project pour récolter des fonds au profit du refuge de Malaga. Nous avons récolté plus de 20 000 EUR.
Comment est né le projet « Horses of Qatar » que vous avez mené dans les écuries des haras de son Altesse Cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani, émir du Qatar ?
J’ai été mandatée par son Altesse Cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani, émir du Qatar pour la réalisation de portraits des membres de la famille. A cette occasion, j’ai eu la chance de pouvoir visiter les écuries d’Al Shaqab. Un immense privilège. Il y a dans ce lieu mythique une atmosphère particulière, paisible et hors du temps. L’Émir et sa fille H. E. Sheikha Al Mayassa m’ont alors fait l’honneur de me confier la réalisation d’un livre d’art de 300 pages consacré à ce lieu ancestral et ses chevaux. « Horses of Qatar » fut pour moi une consécration, à la fois parce que, pour la première, fois je pouvais lier ma passion pour les chevaux et mon métier, et parce que j’ai pu exposer au Musée du Petit Palais de Paris (2009).
Pouvez-vous nous décrire l’endroit, les impressions qu’il vous a laissées ? De même que les chevaux ?
Al Shaqab est le royaume du cheval arabe. Les teintes des écuries, les soins quotidiens portés aux chevaux, le silence qui contraste tant avec la ville de Doha vous offrent une certaine sérénité. C’est sans doute parce que le lieu apparaît être hors du temps. Al Shaqab inspire ce que le cheval inspire : calme, liberté, sagesse et douceur.
Si tous les chevaux ont leur personnalité, c’est sans hésitation Marwan Al Shaqab qui m’a laissé la plus grande impression. Ce cheval, l’étalon le plus coté du monde, est un acteur à part entière ! Lors des prises de vue, il m’a offert tout son charisme, sa force, son impétuosité et son respect de l’homme. Et toujours il avait cette attitude majestueuse... Comme s’il savait qu’il avait ce statut mondialement reconnu !
Un tel lieu et de tels animaux impliquent-ils des conditions de travail particulières ? Est-ce qu’il(s) se laisse(nt) facilement apprivoiser ?
Dans la mesure où je souhaitais les photographier dans leurs attitudes les plus naturelles et spontanées, ces deux années de production m’ont offert des moments à part ! Par exemple, je n’ai eu l’opportunité de photographier qu’une seule naissance, alors il est certain que j’ai dû camper, à proprement parler, dans les écuries auprès de la jument pour pouvoir capturer la mise bas et les premiers souffles du poulain... Mais on oublie les nuits à veiller dans la paille lorsqu’on parvient à vivre de tels clichés !
Quant à les apprivoiser, c’est plus exactement une question de fibre et de patience, je connais bien les chevaux, alors je n’ai pas eu de difficulté à les amener à m’offrir toute leur particularité...
D’où vous est venue l’idée de prendre des photos sous-marines dans la piscine des chevaux ? Furent-elles particulièrement difficiles à prendre ?
Quand j’ai appris qu’une partie de l’entraînement des chevaux de show avait lieu dans une piscine dédiée, j’ai tout de suite eu l’idée de photographier ces séquences. Or, il ne me semblait d’aucun intérêt de réaliser des photos en dehors de la piscine. Il est certain que mon idée de photographier sous l’eau a surpris les grooms et a nécessité quelques spécificités techniques ! Fort heureusement, je tiens longtemps en apnée... Le plus délicat était que je devais être rapide, les chevaux ne nagent pas longtemps, et que je devais faire très attention à ma sécurité. L’objectif de l’appareil utilisé donne une vision déformée, ainsi une fois, le sabot d’un nageur est passé très prêt de ma tête... Plus de peur que de mal et surtout une série exceptionnelle ! « Underwater Horses » illustre parfaitement la magie que cet animal distille dans l’inconscient collectif à travers les siècles : du mythe de la Licorne à l’infinie Liberté, le mystère, la force et la Grâce à l’état pur.
Dans de nombreuses photos, que ce soit vos nus ou vos clichés animaliers, on voit des corps quasi immobiles mais en torsion, comme suspendus dans le temps et l’espace et marquant quand même un mouvement. Ce sont des images tout en sinuosités et en courbes. Est-ce que c’est quelque chose que vous recherchez consciemment ? Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
C’est une question difficile... L’artiste n’explique pas toujours ce qui émane de lui.
Mes sujets phares, la femme et les animaux, renvoient à l’idée que je me fais du Beau de façon innée... Et je ne vois pas dans la rectitude et la rigidité une forme de beauté... Aussi, ces deux sujets font sans aucun doute écho à l’idée même que j’ai de la Vie, de ce qui est en vie... La vie n’est-elle pas un mouvement perpétuel ? Alors, je crois traduire par ces courbes suspendues dans le temps ma vision harmonieuse et absolue de la Vie...
Quels sont les projets photographiques que vous rêvez de mener ? Et équestres ? Quelle est la ou les choses qu’il vous reste à faire ?
La femme est ce sujet sans fin qui ne cesse de m’inspirer... Sans doute parce que je ne me résigne pas à fixer son portrait dans une seule mise en scène, un seul point de vue. Je ne me lasse pas d’affiner ce portrait « universel » via différents décors, et à ce titre les idées ne manquent pas ! J’ai d’ailleurs un rythme de production de plus en plus soutenu... Mais je ne dévoilerai rien avant de sortir les clichés ! (sourires)
Sur le plan équestre, j’ai repris l’entraînement et suis ravie désormais de le vivre en famille. Je n’ai pas encore fixé d’échéance mais un retour à la compétition en 2016 n’est pas exclu !
Quant à vous dire ce « qu’il me reste à faire », c’est une formulation qui sous-entend « la fin »... C’est loin de mon état d’esprit ! J’estime être encore à l’aube de ma carrière artistique, ce qui permet d’être toujours à l’affût de nouvelles idées, de nouveaux projets et je ne souhaite pas m’imposer de terme final à une inspiration toujours prolifique !
Vous allez bientôt, pour la première fois, exposer votre travail en Belgique avec la YOUNG Gallery à Bruxelles. Pouvez-vous nous en faire une brève présentation ?
C’est la première fois que j’exposerai en Belgique et je suis heureuse de ce projet d’exposition avec la YOUNG GALLERY à Bruxelles. Il s’agira d’une rétrospective de mon travail, mêlant portraits et nus, des plus classiques à quelques nouveautés... Si ce n’est des inédits ! Enfin une salle sera entièrement dédiée à mon travail Horses of Qatar, la légende d’Al Shaqab, où j’aurai à nouveau le plaisir de présenter cette fabuleuse aventure photographique.
Depuis mon exposition à Munich, à la Galerie Bernheimer, j’ai produit de nouveaux clichés et je serai heureuse de les exposer bientôt.
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